Loi « bien-vieillir » : renforcement des règles relatives aux incapacités d’exercer

13.05.2024

Droit public

L’article 16 de la loi du 8 avril 2024 complète la liste des incapacités d’exercer dans le secteur social et médico-social et instaure de nouvelles règles de contrôle de ces incapacités, notamment à travers l’utilisation d’un système d’information sécurisé ad hoc. Le cadre des sanctions est par ailleurs clarifié.

Excédant son objet, centré sur le « bien-vieillir » et « l’autonomie », la loi du 8 avril 2024 modifie l’article L. 133-6 du code de l’action sociale et des familles (CASF) qui, en substance, fixe les règles d’incompatibilité de certaines condamnations définitives pour crimes ou délits avec l’exercice d’une fonction, permanente ou occasionnelle, à quelque titre que ce soit, y compris bénévole, au sein des établissements ou services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) ou des lieux de vie et d'accueil régis par le CASF ou encore au sein d’un établissement d’accueil des enfants de moins de 6 ans. Revue de détails sur cette réforme applicable, pour l’essentiel, depuis le 10 avril 2024, des décrets d'application étant en attente en particulier sur le terrain des modalités de contrôle de ces incapacités d'exercer.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Remarque : parmi les infractions pénales visées par l’article L. 133-6 du CASF figurent les atteintes volontaires à la vie (meurtre, empoisonnement) ; les atteintes volontaires à l’intégrité physique ou psychique de la personne (torture, actes de barbarie, violences, menaces, harcèlement moral, trafic d’armes ou de stupéfiants, etc.) ; la mise en danger, les atteintes aux libertés ou à la dignité de la personne (délaissement, provocation au suicide, réduction en esclavage, enlèvement, séquestration, discrimination, traite des êtres humains, proxénétisme, etc.) ; les atteintes aux mineurs et à la famille (délaissement de mineurs, abandon de famille, atteintes à l’exercice de l’autorité parentale ou à la filiation, mise en péril de mineurs).

Services à la personne et salariés des particuliers employeurs visés

Précisé par la loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants (loi « Taquet »), ce régime dit des incapacités d’exercer est étendu par la loi « bien-vieillir » à l’exploitation ou à la direction des services visés aux 1° et 2° de l'article L. 7231-1 du code du travail, à savoir les services à la personne soumis à agrément portant sur ces activités :

  • la garde d'enfants ;

  • l'assistance aux personnes âgées, aux personnes handicapées ou aux autres personnes ayant besoin d'une aide personnelle à leur domicile ou d'une aide à la mobilité dans l'environnement de proximité favorisant leur maintien à domicile.

La loi « bien-vieillir » ajoute également le cas de l’exercice d’une activité en qualité de salarié employé par un particulier employeur, au sens de l’article L. 7221-1 du code du travail.

Modes de contrôle des incapacités

Pour le contrôle des incapacités listées par l’article L. 133-6 du CASF, deux types de fichiers doivent être consultés :

  • le bulletin n° 2 (B2) du casier judiciaire, qui recense la plupart des condamnations d'une personne à l'exception notamment des décisions à l'encontre des mineurs, des condamnations prononcées pour contraventions, de celles assorties d'une dispense de peine, des condamnations avec sursis lorsque le délai d'épreuve a pris fin sans exécution de la totalité de la peine (C. pr. pén., art. 775) ;

  • le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv), qui recense non seulement les condamnations d'une personne mais également l'identité et l'adresse du domicile de l'auteur et dont le contenu est plus large, avec notamment la possibilité d’y voir une simple mise en examen (C. pr. pén., art. 706-53-1 à 706-53-12).

Depuis la loi Taquet, ces contrôles doivent être assurés non seulement avant l'exercice des fonctions de la personne mais également « à intervalles réguliers » lors de leur exercice, aucune temporalité n’étant imposée.

Les modalités de délivrance du B2 du casier judiciaire et d’accès au Fijaisv sont fixées par le code de procédure pénale. Le B2 du casier judiciaire est ainsi notamment délivré aux collectivités territoriales et aux établissements sociaux et médico-sociaux publics accueillant des personnes âgées ou handicapés ou des mineurs relevant de l’aide sociale à l’enfance (C. pr. pén., art. R. 79, 14°). En outre, les dirigeants de personnes morales de droit public ou privé exerçant auprès des mineurs une activité culturelle, éducative ou sociale au sens de l’article L. 312-1 du CASF peuvent obtenir la délivrance du B2 du casier judiciaire, « pour les seules nécessités liées au recrutement d’une personne, lorsque ce bulletin ne porte la mention d’aucune condamnation » (C. pr. pén., art. 776).

Quant au Fijaisv, les informations qu’il contient ne sont directement accessibles que par l’intermédiaire d’un système de télécommunication sécurisé et qu’à certaines autorités et personnes dont la liste et l’étendue des compétences sont élargies par la loi « bien-vieillir ». Concernant en particulier le secteur social et médico-social, l’article 706-53-7 du code de procédure pénale vise désormais les préfets ainsi que les administrations de l'État dont la liste est fixée par décret en Conseil d’État, pour les procédures de recrutement, d'affectation, d'autorisation, d'agrément ou d'habilitation ou pour le contrôle de l'exercice :

  • sans changement, des activités ou des professions impliquant un contact avec des mineurs ;

  • également, ce qui est nouveau, des activités ou des professions, dont la liste est établie par décret en Conseil d'État, impliquant un contact avec des majeurs en situation de vulnérabilité du fait de leur âge ou de leur handicap.

À noter encore que les maires, les présidents d'établissements publics de coopération intercommunale, les présidents de conseil départemental et les présidents de conseil régional sont destinataires, par l'intermédiaire des préfets ou, désormais, des administrations de l'État précitées, des informations contenues dans le fichier, pour ces mêmes procédures et contrôles.

Parmi les « administrations de l’État » figurerait la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Les travaux parlementaires indiquent en effet qu’une « cellule de contrôle des antécédents judiciaires est actuellement en cours de création à la DGCS pour le contrôle du Fijaisv dans les champs de la protection de l’enfance et des modes d’accueil du jeune enfant, cette cellule ayant vocation à s’étendre pour cribler les antécédents judiciaires des personnes intervenant dans les établissements des champs des personnes âgées et handicapées » (Rapp. Sénat n° 252, 17 janv. 2024).

Attestation et SI « honorabilité »

Un changement majeur est introduit par la loi « bien-vieillir » : elle permet à l’administration chargée du contrôle des incapacités d’exercer dans le secteur social et médico-social de délivrer une « attestation » – l’appellation « certificat d’honorabilité » n’a finalement pas été retenue – à la personne ne faisant pas l’objet d’une inscription au B2 ou au Fijaisv. Ce, au moyen d’un système d’information (SI) sécurisé permettant la consultation de ces deux traitements de données.

Un décret en Conseil d’État doit préciser les modalités de mise en œuvre de ce dispositif qui déroge aux articles 706-53-11 et 777-3 du code procédure pénale. Lesquels interdisent, sous peine de sanction, tout rapprochement ou interconnexion entre le casier judiciaire national automatisé ou un autre fichier défini par le code de procédure pénale et tout autre fichier ou traitement de données à caractère personnel ne dépendant pas du ministère de la justice.

Remarque : a priori, c’est le « SI Honorabilité », conçu initialement pour le seul secteur des activités sportives auprès des mineurs, qui serait utilisé (Rapp. Sénat préc.). Mais une modification de l’arrêté du 31 mars 2021 créant ce traitement automatisé de données à caractère personnel s’impose.

L'attestation fera état de l'absence de condamnation non définitive ou de mise en examen mentionnées au Fijaisv. Elle pourra être communiquée à l'employeur, au directeur d'un ESSMS ou d'un lieu de vie et d'accueil (LVA) et à l'autorité délivrant l'agrément. L'administration chargée du contrôle pourra également transmettre à cet employeur ou à ce directeur, pour les besoins du contrôle des incapacités à intervalles réguliers, l'information selon laquelle une personne en exercice est frappée par une incapacité ou fait l'objet d'une mention au Fijaisv.

Suspension ou rupture du contrat de travail

La loi « bien-vieillir » ouvre la possibilité pour les directeurs d’ESSMS et de LVA de suspendre temporairement, jusqu’à la décision définitive de la juridiction compétente, l’activité d’une personne mise en examen ou condamnée au titre de l’une des infractions visées par les incapacités d’exercer, « en raison de risques pour la santé ou la sécurité des mineurs ou des majeurs en situation de vulnérabilité avec lesquels elle est en contact » (CASF, art. L. 133-6, III nouv.). Cette suspension pourra être décidée lorsque le directeur est informé de la condamnation non définitive ou de la mise en examen par le ministère public selon les modalités prévues par le code de procédure pénale (C. pr. pén., art. 11-2 et 706-47-4).

Lorsque l'incapacité est avérée et qu'il n'est pas possible de proposer un autre poste de travail n'impliquant aucun contact avec des personnes accueillies ou accompagnées, il doit être mis fin au contrat de travail ou aux fonctions du salarié concerné. Le fonctionnaire détaché ou mis à disposition dont l'incapacité est avérée doit, pour sa part, être remis à disposition de son administration d'origine.

Comme l’ont souligné les rapporteurs au Sénat de la proposition de loi « bien-vieillir », la portée de cette réforme du régime des incapacités d’exercer dans le secteur social et médico-social « dépendra de son application effective et efficace ». Selon la DGCS, elle induirait « une augmentation d’environ un million de personnes à cribler » (Rapp. Sénat préc.). Pas sûr que les directeurs parviennent à faire face dans le contexte de crise actuel.

Sybilline CHASSAT-PHILIPPE, Dictionnaire permanent Action sociale
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